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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Les trois femmes les plus puissantes d’Haïti, d’Eric Sauray. Le retour sur scène de l’idéologie noiriste ? - Par Sergo Alexis

Publié par Sergo Alexis sur 29 Mai 2018, 19:33pm

Catégories : #CULTURE, #DUVALIER

Les trois femmes les plus puissantes d’Haïti, d’Eric Sauray.  Le retour sur scène de l’idéologie noiriste ? - Par Sergo Alexis

 

Ma relation au monde haïtien que ce soit, ici en France dans la communauté ou en Haïti à l’époque où j’y vivais, mon incapacité viscérale d’être un faux-cul, m’aura valu quelques animosités, étant donné la domination de la loi du silence (surtout pendant le régime dictatorial). 

Débattre de la pièce d’Eric Sauray,  -dont  je ne mets pas en doute la qualité du travail- n’est pas à mettre au registre de la polémique. La question de l’assassinat de Dessalines reste jusqu’à présent ouverte. Qui a tué Dessalines ? Serait-ce Pétion comme le laisse entendre le récit de  Sauray ? Cet assassinat du père de la nation aura tant de conséquences fâcheuses pour l’avenir   du pays, qu’ils sont nombreux les historiens  à s’être penchés sur ce drame  et tenter de cerner la vérité. Qui a tué Dessalines, quand, comment, pourquoi ?  Pétion ? Mes recherches me guident à avoir un avis différent.

Dans un petit texte de Sauray sur la toile pour remercier le public qui était venu en nombre à la première représentation - et sans arrière pensée, ni même avoir l’idée d’écrire un article critique sur la pièce - j’ai fait un petit commentaire pour exprimer mon désaccord à ce réquisitoire contre Pétion. A mon grand étonnement, est arrivée une pluie de réactions de la part des copains intellectuels de la communauté haïtienne de France. – qui  m’ont assailli  de toutes parts, comme si ma critique était un crime de lèse-majesté.  Men do m laj pour encaisser les coups ! Certains m’ont traité de paresseux intellectuel : les documents sont là, il faut aller les chercher, me suggèrent-ils. D’autres, me conseillent d’aller revoir la pièce pour changer d’avis car je l’aurais mal comprise. D’autres m’annoncent que le débat est clos pour eux ; à partir du moment où j’étais incapable de comprendre que la dramaturgie c’est toujours de la fiction. Les mêmes me disent qu’ils désapprouvent le qualificatif de noiriste que j’attribue à la pièce de Sauray. Or, le mot noiriste – idéologie créée par  François Duvalier et Lorimer Denis - n’apparaît dans aucune de mes interventions. En même temps, ces mêmes copains me disent qu’ils ne m’accusent pas directement, qu’ils parlent dans un cadre général et que maintenant, ils comprennent que cette pièce mérite débat et m’invitent à le faire sur les antennes.

Ainsi m’est venue l’idée d’expliquer, par un texte,  mon point de vue sur la mort de Dessalines  que je situe dans un cadre politique et économique ; et non en terme des rapports de classe ou de race, depuis ce fameux premier janvier dix huit cent quatre. Ceci en me basant sur les recherches  en anthropologie politique et sociale que j’effectue sur les modes de production capitaliste et Haïti. 

J’ai voulu reprendre méthodiquement mes réponses et les opinions des uns et des autres issues de la discussion pour écrire mon texte. Malheureusement, l’ensemble avait été déjà effacé  de sa page Facebook, par notre ami Eric Sauray. Pourquoi est-ce au moment précis où le mot noirisme apparaît qu’Eric Sauray décide de tout faire disparaitre ?

 Cela m’incitait à pousser d’avantage ma curiosité sur le coté subjectif de la pièce. Des amis artistes cinéaste m’ont conseillé que si je devais écrire un texte sur une pièce de théâtre, mon observation devrait porter sur l’ensemble : décor, costumes, images et sons, prestation des acteurs en dehors du contenu même du texte. Alors, j’ai enfilé ma tenue d’apprenti chercheur en anthropologie pour tout revoir. J’ai visionné plusieurs images et j’ai découvert des indices qui laisseraient  penser que cette pièce de théâtre pourrait s’intégrer dans le répertoire d’œuvres noiristes. Une direction qu’on devine intentionnelle de l’auteur, aussi bien sur l’insistance à faire le procès de Pétion, sur la mise en scène et encore plus évidente dans le décor.

Après le prologue dit par Ketty Sauray expliquant au public que les scènes se déroulent le 17 octobre 1806 ;  et que l’on va découvrir, gisant sur le sol, ce qui reste du corps de l’empereur Jean Jacques Dessalines.

 

Le décor aux couleurs prédominantes noir et rouge

Les rideaux s’ouvrent sur un décor somptueux où les couleurs noire et rouge prédominent. La scène est un fond noir quadrillé de rideaux  rouges et noirs. Deux gravures (pourquoi deux ?) d’un pont aux couleurs d’ocre rouge symbolisant le lieu de l’assassinat et le sang du créateur de la nation. Un ciel triste et sombre dans lequel se devine un arc-en-ciel en dispersion. Les seules couleurs qui restent intactes sont le rouge et le noir, peut-être le symbole du drapeau haïtien institutionnalisé par François Duvalier, en 1964, dans la continuité de son idéologie noiriste. Est-ce qu’il y a une image en filigrane symbolisant un personnage dans les nuages ? Seul l’auteur pourrait le confirmer.  Le corps de Dessalines gît en morceaux au sol. Une femme (Kerline Morisseau), d’une beauté splendide dans son rôle !), vêtue d’une robe noire d’époque,  coiffée  d’un turban blanc, jouant le rôle du Coryphée. Elle se tient  assise dans un fauteuil surélevé, face  à  la scène, dominant les autres personnages. Symbole dans cette circonstance du  loas Guédé, l’esprit des morts dans le panthéon vaudou haïtien ? Une sorte de syncrétisme entre la spiritualité africaine et la mythologie grecque ?

Résumé de la pièce : réquisitoire contre Alexandre Sabès Pétion 

« Claire, Catherine et Défilé : une pièce poignante, une pièce à la hauteur de l’histoire d’HaïtiDu jamais vu ou presque. » C’est de cette manière que l’auteur, Eric Sauray a présenté sa pièce au public, en collaboration avec l’association Astrinobes. Rien que ça. Et tant pis pour ceux qui oseraient émettre un avis différent ! A la lecture du titre de la pièce, on pourrait penser qu’il s’agissait d’un portrait de ces trois femmes à partir de leur engagement dans la lutte de libération. Non ! 

C’est une tragédie influencée par la  théâtre grec (l’Antigone de Sophocle)  mettant en scène, via l'enterrement des restes  de Jacques 1er  le complot qui aurait été fomenté par le général Alexandre Pétion contre lui.

Larmes aux yeux, rage au ventre, Défilé la folle, interprétée magistralement par Roseline Dieudonné, constate l’assassinat de son empereur. Elle rassemble son corps déchiqueté et recouvre sa dépouille d’une des deux robes qu’elle portait. Elle s’interroge sur le pourquoi d’un tel acte barbare sur un homme qui ne méritait pas une telle humiliation après tant de bravoure pour créer cette nation, la nôtre. Sa première question est pour Alexandre Pétion : « Pétion, pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi as-tu commis un tel acte… ? »  D’emblée, sans autre forme de procès, Pétion est désigné comme l’assassin. Ainsi débute le réquisitoire sans ménagement contre Alexandre Pétion ! Il sera repris en chœur par les deux autres femmes.

Défilé sollicite la très bonne couturière Catherine Flon, interprétée avec talent par Alvina Karamoko, pour rapiécer le corps démembré de l’empereur. Habillée comme une princesse, pendentif au coup et serre-tête ornée de pierres sur la tête. Catherine Flon avait cousu le premier drapeau haïtien aux couleurs bleu et rouge, à l’Arcahaie le 18 novembre 1803, symbolisant l’union des Noirs et des Mulâtres. Claire Heureuse (Déborah Mathurin aussi perspicace que les autres), l’impératrice,  coiffée d’un diadème  et d’un collier  rehaussé de diamants,  est chargée et contrainte par Défilé et Catherine, pourtant craignant les représailles, d’assumer la responsabilité des funérailles de son mari. D’abord hésitante, elle finit par accepter et se joint à Défilé et Catherine après la lecture faite d’une lettre de menaces explicites venant du général Pétion, apportée par un officier (interprété par Eric Sauray, l’auteur de la pièce). L’officier vêtu d’un complet noir et d’une grande ceinture rouge autour de la taille,  au garde-à-vous, tente d’intimider l’impératrice sur la discussion qu’elle avait avec les autres femmes sur la question de mise en terre de la dépouille de l’empereur. L’impératrice lui ordonne avec autorité de disposer !

Arrive maintenant le temps de l’enterrement autour d’une cérémonie mystique, en vue de  ressusciter l’esprit Dessalines. Après le rassemblement et le remembrement du cadavre, Catherine Flon, Claire Heureuse et le Coryphée, d’un geste simultané, sortent de leur poche un grand mouchoir de couleur mauve et l’attachent à la ceinture de leur robe noire, (aux couleurs de l’esprit Guédé noir et mauve). Et pour Défilé, sur sa robe blanche - représente-t-elle une divinité de la mythologie grecque ? Puis, les trois femmes ordonnent à Dessalines de se relever. Le Coryphée qui, jusque là, se tenait immobile sur son trône, qui de temps à autre, répondait, questionnait ou répétait les propos des personnages, se lève brusquement. Un récipient en cuivre (rappel du kwi dans les cérémonies vaudou ?) contenant de l’eau (ou une offrande ?) en mains, une serviette blanche sur le bras pour le bain du mort, avance vers le corps. Un bruit de tonnerre retentit ! Et la dépouille mortelle de Jacques 1er bouge mais ne s’est pas relevée. A-t-il fait son entrée dans le panthéon vaudou pour l’occasion ?

Le dénouement : l’arbre qui cache la forêt !

Dans quelques scènes, l’auteur sort du réquisitoire contre Pétion, se questionne sur la problématique de la division haïtienne, issue pour lui de l’esclavage et de la colonisation. Il   se demande, s’il est une obligation pour les Haïtiens de copier le modèle du colon esclavagiste ! Et la solution idéale pour tous les Haïtiens c’est de : « Rassembler, remembrer, relever ! ». Comme il a été question pour le corps de l’empereur. Par ces mots, cités trois fois par les personnages, en faisant chaque fois des gestes du bas en haut vers le ciel, s’achève la tragédie d’Eric Sauray.

Visiblement, le lwa Dessalines semble impuissant à endiguer, la corruption, la jalousie, la haine et la traitrise de ses descendants. Ces trois mots  Rassembler, remembrer, relever  n’ont qu’un sens sentimental. Cent quatre-vingt cinq  ans plus tard, ou 27 ans avant, l’on a entendu le même registre : justice, transparence, participation ! La division s’empire et la terre de Dessalines et ses enfants disparaissent doucement mais sûrement !

Pourquoi je refuse le réquisitoire fait à Pétion

Je refuse le réquisitoire contre Pétion pour la plus simple des raisons. Parce que s’il faut faire le procès d’Alexandre Pétion, il faut aussi faire celui de Toussaint Louverture, de Jean-Jacques Dessalines et d’Henri Christophe - pour ne citer que les principaux généraux qui ont créé la nation - pour des crimes de guerre ou pas qu’ils ont tous commis durant leur existence, avant et après la Révolution haïtienne. D’ailleurs, ce fut un complot de différents officiers qui aurait couté la mort à Dessalines et dont le premier bénéficiaire aurait été Christophe dans la hiérarchie militaire des révolutionnaires. C’est en tout cas la thèse qui paraît la plus évidente. Mais moi, je refuse d’accuser qui que ce soit. Car, nous aussi, nous sommes un peuple issu de l’esclavage et de la colonisation dans sa forme la plus complète : ethnique, sociale, institutionnelle, voire économique. Après la révolution, nous ne pouvions appliquer que ce modèle qui nous a engendrés.

J’ai constaté qu’une Révolution d’esclaves a pu quand même avoir lieu dans l’accoutumance de la société totale de l’époque, qui était dominée par des Etats monarchiques et esclavagistes où la religion, la traitrise et la violence furent de rigueur. L’homme ne s’adapte-il pas à son environnement ? Pourquoi devrais-je dans ces conditions faire le procès de Pétion, un des quatre grands généraux révolutionnaires, fut-ce même qu’il aurait été l’instigateur du complot contre Dessalines. Ne me demandez pas non plus de faire le procès de Toussaint parce qu’il a ordonné l’exécution de son neveu Moise ; de Dessalines pour le massacre des Congos qu’il avait ordonné à Christophe, d’avoir jugé faux et déchiré tous les titres de propriétés d’anciens affranchis qui lui étaient tombés sous la main. Je ne le condamne pas non plus d’avoir déclaré au colonel Lamarre, peu de temps avant son assassinat : « Mon fils tient bien ta 24e demi-brigade.  Après ce que je viens de faire dans le Sud, si les citoyens ne se soulèvent pas c’est qu’ils ne sont pas des hommes. » Je ne condamne pas non plus Henri Christophe pour le massacre qu’il a perpétré dans l’Ouest après la mort de Dessalines, ni d’avoir voulu tuer Pétion, pour avoir tenté, par des manœuvres institutionnelles de faire de lui un président républicain sans réel pouvoir. Pour la même raison, je ne veux pas non plus condamner les Mulâtres parce qu’ils revendiquaient d’être les héritiers des biens de leurs pères Blancs. Ce sont les institutions et la gestion sociale et économique de l’Etat qui doivent déterminer le partage équitable des richesses. Ce ne sont pas la violence et la guerre ! D’ailleurs, il y avait contradiction entre la forme d’Etat, la royauté ou l’empire, instaurée par le régime dessalinien et son souhait de l’empereur de partager les terres avec ceux aussi « dont les pères sont restés en Afrique ».

Le mal est fait depuis le premier janvier 1804, lorsque des officiers, sortis de tant de guerres militaires contre le capitalisme esclavagiste ; tant de guerres civiles de construction de sens et de rapports de force, n’ont pas eu l’intelligence de créer une amnistie générale ; de faire de cet Etat, une république démocratique et unitaire en lieu et place des dictatures monarchiques rétrogrades ou républicaines héréditaires prônées par tous pour la nouvelle nation.

Oui, n’ayons pas peur de redire, et toujours sans accuser et condamner personne, que tous nos malheurs de division ont commencé depuis le premier janvier 1804. Car la forme d’Etat d’une nation détermine sa gestion économique et politique. En créant un « empire bananier » et folklorique  suivant le modèle politique du colon avant la Révolution française, au lieu d’une république démocratique et unitaire, l’on a créé la structure de l’instabilité institutionnelle structurelle. Et depuis, rien n’a vraiment été fait pour y remédier. 

Le noirisme : idéologie obsolète et mort-née !

Etre noiriste et/ou duvaliériste est  l’affirmation  du  choix d’une idéologie : le noirisme. Le noirisme - idéologie obsolète et mort-née -,  est un courant de pensée, né vers la fin des années 1950, qui met beaucoup l’accent sur les conflits ethniques, en utilisant à tout bout de champs le mot race dans ses écrits. Il établit les différents teints de la société haïtienne en terme de classe sociale : la classe des Noirs, la classe des Mulâtres ou sang-mêlé, la classe des affranchis, la classe des Blancs, etc. Voulant aussi combattre la négritude trop universelle à son goût. C’est dans ce contexte que Duvalier et les tontons macoutes ont persécuté Jean Price Mars, considéré comme le père de la négritude ; brulé sa bibliothèque contenant des centaines de livres sur Haïti, collectionnés dans le monde entier. Mais le noirisme dit aussi  lutter pour une justice sociale et une partage des richesses du pays ; la création d’une classe moyenne issue des masses populaires, les pitit sôyèt.

Mais c’est également ce même régime noiriste qui a torturé, exécuté et exilé des centaines de professeurs haïtiens, toutes couleurs confondues, issus de la classe moyenne, qui représentaient l’avenir de la République. C’est aussi ce même régime noiriste qui a créé le FRAPH. Ce groupe violent paramilitaire, qui est directement responsable de l’assassinat de  milliers de personnes après les coups d’Etat de 1991 et de 2004. Il n’y a pas de souci, ces victimes font partie de la classe des ratpakaka pour la race des ratpakapala des néoduvaliéristes. Je ne vous parle même pas des exactions des bras armés du duvaliérisme noiriste de 1957 à 1986 : les tontons macoutes !

En ce sens, les termes rassembler, remembrer et relever, issus de ce courant, ne  sont que la façade replâtrée d’une   idéologie qui prône la division ethnique ;  qui classe les hommes en  en races et les ethnies en classes sociales ; et qui  n’a pas la légitimité de relever le défi de l’unité !

Oui aujourd’hui, mais en vérité depuis déjà un bon moment, les citoyens peuvent juger et condamner les dirigeants qui nous gouvernent. Parce que plusieurs modèles de société s’offrent à nous et l’instruction est beaucoup plus développée qu’en ce début du 19e siècle. Même s’il est vrai que l’analphabète n’est pas bête, ce n’est pas pour autant que l’on doive aujourd’hui encore accepter d’être gouverné par des médiocres et des mafieux !

 

Sergo Alexis

28 mai 2018.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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