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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Interview Haïti / Lautaro Rivara : « Il existe un pacte pour rendre invisible la mobilisation du peuple haïtien »

Publié par siel sur 17 Novembre 2022, 21:08pm

Catégories : #INTERNATIONAL, #PEUPLE sans mémoire..., #DUVALIER

 

Lautaro Rivara, journaliste et sociologue, analyse la convulsive réalité qui règne en Haïti alors que grandissent les rumeurs d’une nouvelle intervention militaire étrangère. Il nous explique les différents calculs politiques, la paramilitarisation du pays et la volonté concertée de rendre invisible le peuple qui s’est organisé.

On parle de plus en plus d’une possible intervention militaire étrangère en Haïti. À quoi jouent le gouvernement (autoproclamé) d’Ariel Henry, d’une part, et les États-Unis, de l’autre ?

Il faut tout d’abord rappeler que c’est Ariel Henry, le Premier ministre par intérim d’Haïti, qui a appelé à une occupation militaire internationale du pays au motif d’y assurer la sécurité, de combattre les gangs armés, de débloquer les ports actuellement sous le contrôle des groupes paramilitaires et, également, pour faire face à une recrudescence de l’épidémie de choléra sur l’île.

Ariel Henry cherche à mettre en œuvre un plan prétorien pour sauver un gouvernement non élu démocratiquement et totalement délégitimé par une suite de manifestations massives qui ont rassemblé des foules énormes et qui durent désormais depuis des mois. Ce genre d’intervention internationale est indispensable pour que ce gouvernement se maintienne au pouvoir et pour que les élites qu’il représente puissent poursuivre leur politique de pillage et de mise à sac du pays.

Cette demande d’intervention peut présenter une sorte de vernis de légitimité et de souveraineté, mais il faut la voir fondamentalement comme une orientation dictée par les États-Unis eux-mêmes et leurs alliés occidentaux. Du point de vue nord-américain, les arguments sont un peu plus complexes. D’un côté, l’administration démocrate se trouve dans l’obligation d’intervenir sur un territoire qu’elle considère en quelque sorte comme un « lac intérieur » et de protéger un allié géopolitique qui lui a été utile ces dernières années. Et en même temps, les États-Unis et ses alliés, comme le Canada, doivent aussi défendre les intérêts économiques réels de leurs entreprises, dans des secteurs tels que l’exploitation minière ou l’agriculture.

Les médias tout comme les gouvernements occidentaux ont évoqué le problème des « gangs armés » dans le pays. Comment pourrait-on comprendre ce phénomène de manière moins vague et moins biaisée par les intérêts ? Quels groupes ou États tirent les ficelles derrière ce qui est visible ?

Cette question des gangs armés, en Haïti, de ces groupes criminels très organisés et quasiment paramilitaires, est plus complexe que ce que nous disent les grands groupes de presse.

Ces groupes organisés existent depuis longtemps. Ce n’est pas un phénomène nouveau ni strictement haïtien. Il s’agissait néanmoins d’un phénomène de basse intensité qui s’est développé très rapidement au cours de ces dernières années, depuis 2018; il a coïncidé avec un cycle de mobilisations populaires massives contre le gouvernement de l’ancien président Jovenel Moïse et contre les politiques néolibérales « recommandées » par le FMI. C’est à ce moment-là que commence une infiltration de mercenaires, de nombreux nord-américains se trouvant parmi eux, équipés d’armes de gros calibre comme s’ils se préparaient à une guerre.

C’est dans ce contexte que ces petits gangs commencent à se renforcer, à trouver un financement, à accéder à des armes de gros calibre, puis ils se sont regroupés. C’est ainsi qu’est né le G9, l’une des «fédérations» les plus puissantes du pays, qui contrôle des quartiers très densément peuplés de la capitale; elle joue désormais un rôle qui n’est plus purement criminel, mais aussi clairement politique. Dans des communautés que j’ai pu visiter, on m’a expliqué que les actions et les massacres perpétrés par ces gangs armés visaient à empêcher les appels à manifester et à protester. Il existe des liens publiquement connus entre le crime organisé et le gouvernement; ils s’ajoutent à la relation internationale avec les États-Unis qui fait le lien avec le trafic d’armes opéré précisément depuis la Floride.

Le paramilitarisme n’est pas un phénomène nouveau dans la région. Il a été mis en œuvre dans des pays comme la Colombie ou des républiques d’Amérique centrale. Il se peut que l’élément le plus brutal et sinistre dans le cas d’Haïti soit que ce modèle d’insécurité planifiée, de gouvernance bestiale par le biais du paramilitarisme, ait été mis en place de façon beaucoup plus rapide.

Actuellement, quelle est la situation de l’opposition et des mouvements sociaux en Haïti ? Bien que le mécontentement et la mobilisation soient considérables, il semble qu’il manque une coordination qui permettrait de rassembler les forces.

L’opposition populaire et les mouvements sociaux sont généralement totalement absents des analyses délivrées par les médias hégémoniques lorsqu’ils relatent ce qui se passe dans le pays. Il existe un pacte tacite pour rendre invisibles les capacités politiques, associatives et mobilisatrices du peuple haïtien, afin d’en déduire, de façon plus ou moins linéaire et évidente, que la solution aux problèmes du pays pourrait venir de quelque intervention étrangère, soit militaire soit via des ONG ou des organisations internationales.

En Haïti, le mouvement social, évidemment, a été durement affecté par le paramilitarisme. Ce mouvement social avait repris des forces après la très longue occupation du pays par les troupes des Nations Unies ; un processus de recomposition sociale était en cours, un élan de remobilisation populaire et, surtout, un processus de construction d’une union entre les différentes organisations politiques, sociales, des secteurs religieux et même des entrepreneurs. Ainsi s’est créé le dénommé Forum Patriotique de Papaye qui, par la suite, a élargi son assise.

On a vu la création du dénommé Accord de Montana, auquel ont adhéré plus de 300 organisations haïtiennes qui couvrent un très large spectre. Leur revendication est la mise en place d’un gouvernement de transition capable de faire face aux défis les plus urgents et de procéder également à une réforme politique qui conduise, par exemple, à la tenue d’élections honnêtes et transparentes. Ces secteurs organisés continuent de travailler, et il est très clair que la population haïtienne cherche une solution souveraine à cette crise, solution qui exclut l’odieuse médiation des acteurs internationaux.

 

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