3-Stylistique du roman (suite) : Mimétisme et homologie par double emploi des termes correspondant au sens propre et au sens figuré dans le roman de Jacques Roumain : « Gouverneurs de la rosée ».
Beaucoup des images formant le nœud des descriptions de paysage ou d’autres séquences événementielles tirent leur origine de faits de la vie quotidienne comme pour convier l’idée de continuité ou de similarité de l’homme et son habitat, phénomène se résolvant en un mimétisme selon lequel la nature refléterait la manière d’être des humains et vice versa. Ainsi se trouve mis en œuvre un double emploi des termes : un emploi pratique ou sens propre participant de la vie des protagonistes dans leur quotidienneté, et un second emploi ou sens figuré dit littéraire du même élément lexical pour décrire des paysages. Cette utilisation des mêmes termes dans deux contextes différents est si massive qu’il importe de s’y arrêter afin de questionner son bienfondé. La première partie de la démarche doit d’abord consister à dénombrer quelques cas en commençant avec le terme <madras<
a) Premier emploi au sens propre, parlant de Délira, on a écrit : <, elle remue la tête doucement son madras a glissé de côté et on voit une mèche grise saupoudrée<
Second emploi au sens figuré : « un madras de nuage soufrés ceignait le sommet des mornes élevés »
b) Le geste de Manuel semblable au geste du Soleil avec le verbe < embrasser<
Premier emploi au sens propre : « il tenait embrassée la chaude et profonde douceur de son corps […celui d’Annaise] »
Second emploi au sens figuré : « le soleil d’un rouge colérique embrassait la crête des mornes »
c) Double emploi du terme <ongle< : Premier emploi au sens propre condensant la profession du fils de Délira déterminé à fouiller : « […] les veines de leurs ravins avec ses propres ongles, jusqu’à trouver l’eau, jusqu’à sentir sa langue humide sur la main »
Deuxième emploi : « Le soleil raclait le dos écorché du morne avec des ongles étincelants<
d) Double emploi du terme < dos< : Premier emploi au sens propre : « Il (Manuel) foulait les plantes flétries et il courbait un peu le dos comme s’il portait un fardeau »
Deuxième emploi : « Le soleil raclait le dos écorché du morne avec des ongles étincelants<
e) Double emploi du terme <ailes< : Premier emploi : « le battement d’ailes et le piaillement affairé des poules »
Second emploi du terme au sens figuré : « Les feuilles de latanier comme des ailes cassées »
f) Double emploi du terme <jardin< : Premier emploi : « Il y aura un canal d’eau dans notre jardin et des roseaux et des lataniers sur ses bords », a dit Annaïse
Dans le second emploi, il y est sujet de <jardin d’étoiles dans le ciel<
g) Double emploi du terme < haillons< : Premier emploi avec un terme synonyme : <les bâillements du pantalon comme quartier de lune dans les déchirures d’un nuage<
Second emploi : <Au dessus des bayahondes flottent des haillons de fumée<
h) Double emploi du terme < dent< : Premier emploi du vocable au sens propre en parlant des habitants de Fonds-Rouge : <Ils affilent leur dent<
Second emploi : <Les dents désœuvrées des moulins<
i) Double emploi du terme <rire < : Premier emploi : « Le rire d’Annaïse roulait dans sa gorge renversée et ses dents mouillaient d’une blancheur éclatante »
Second usage<rire et chant des oiseaux<
j) Double emploi du terme <robe< : Première utilisation au sens propre : « Les hounsis tournoyant autour du poteau central mélangeaient l’écume de leurs robes à la vague brassée des habitants vêtus de bleu »
Second usage du vocable : « le même horizon barrait la vue à tout espoir et reprisant un robe mille fois usée<
k) Double usage du terme <épaules< : Premier emploi au sens propre : « Le soleil pesait à son épaule [Celui de Manuel] ainsi qu’un fardeau »
Second emploi du terme au sens figuré : « Parce qu’on est soudé en une seule ligne comme les épaules des montagnes »
Il nous revient alors de nous demander pourquoi certains vocables sont revenus de manière récurrente au-delà du barème de double contexte qui semblait-être la norme ? Pour y répondre, nous nous contenterons de puiser prioritairement dans le fonds déjà constitué de termes dont la liste a été préalablement établie, afin de tirer des conclusions.
b) Nous considérerons le terme <madras< avec trois emplois au sens propre : le terme est utilisé à deux reprises pour Annaïse : « Sous l’ombrage de son chapeau un madras de soie bleue serrait son front » et <son madras a glissé<, puis pour Délira : < elle remue la tête doucement, son madras glissé de côté et on voit une mèche grise saupoudrée< Puis vient un usage du terme au sens figuré : <un madras de nuages ceignait le sommet des mornes<
Rappelons que <madras se présente comme < une sorte de fichu servant à couvrir la tête< En usant le même terme, on saisit à la fois l’accessoire féminin et la tête de la femme comparés à < sommet des mornes élevés<, si bien qu’il en résulte à la fois le geste de se couvrir des deux femmes au même titre que le <morne< assimilé à une femme. Ainsi, on conclut déductivement que l’entité spatiale <morne< est une <femme< ou du moins est donnée pour telle.
c) Dans la foulée, nous nous arrêterons à un autre accessoire féminin, savoir le tissu pour sa nature <soie< Il y a répétition du terme <soie< : On a d’abord un terme synonyme : <une pulpe rouge comme un velours de muqueuse<, puis : <cil de soie comme des roseaux< , à comparer à < madras de soie serrait son front< (Annaïse), enfin : <peau noire comme la soie< (celle de la fiancée de Manuel)
d) Il est question d’un geste affectif disséminant de l’humain à la nature avec le verbe <embrasser< pour dénoncer un fort sensualisme et une grande affectivité. On note pour commencer le triple geste de Manuel semblable au geste du Soleil avec le verbe < embrasser< : Premier emploi au sens propre, à deux reprises : « il tenait embrassée la chaude et profonde douceur de son corps […celui d’Annaise] » et pour la même personne : « Il passa son bras autour de ses épaules et elle frémit » Même attention vis-à-vis de sa mère: « Son bras embrassait ses épaules » Le geste de l’homme a été imité par le Soleil en un second emploi au sens figuré : « le soleil d’un rouge colérique embrassait la crête des mornes »
A suivre…..
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