Monsieur le Ministre Manuel Valls,
Vous mettez ce soir les pieds dans notre île, la Guadeloupe, qui souffre d’une désespérance grave, qui est en train de perdre le sens même du vivre ensemble et qui connaît le taux le plus élevé de criminalité de France. Vous allez sans doute – et on ne peut vous le reprocher – annoncer quelques mesures supplémentaires concernant le dispositif policier pour lutter contre la délinquance. Certains élus vous demanderont allègrement de renforcer la lutte contre l’immigration même si l’écrasante majorité des crimes commis ici sont le fait de Guadeloupéens. Vous allez sans doute repartir, fier de vous et de votre mission – on ne sait trop laquelle –accomplie. Mais une chose est sûre : vous n’aurez pas communiqué l’idée d’une politique pouvant donner sens à l’existence collective ni l’espoir qu’un autre monde soit possible, plus humain, avec des valeurs véritablement universalistes. Car vous symbolisez une France et une Europe se nourrissant de la haine de l’autre, une France et une Europe qui ont rendu possible la tragédie de Lampedusa, véritable gouffre où ont fait naufrage les valeurs humanistes les plus élémentaires d’une Europe où ne clignote plus le sémaphore de ses lumières.
Car voyez-vous, Monsieur le Ministre, depuis vos déclarations sur la « vocation des Roms », je suis atteint d’un haut-le-cœur qui ne me quitte plus, jour et nuit. Pour moi, homme de gauche, vous représentez le contraire de ce qu’une tradition socialiste en France pouvait avoir de noble et le représentant exemplaire (avec Marine Le Pen bien sûr) d’une tradition nationaliste française et plus largement européenne, pouvant toujours produire les désastres historiques qu’il faut toujours imaginer. Pour nous, Antillais, un tel nationalisme est inacceptable ; nous avons souffert de cet assimilationnisme incapable d’accepter la diversité culturelle. C’est pourquoi durant les six années durant lesquelles je fus membre du Haut Conseil à l’Intégration, présidé par Blandine Kriegel, j’ai défendu l’idée qu’il fallait distinguer entre intégration assimilationniste et intégration républicaine. J’ai démissionné du HCI (suivi de l’écrivain Edouard Glissant) quand fut nommé Brice Hortefeux comme ministre de l’« identité nationale ». Je ne vois pas d’ailleurs ce qui, en dernière instance, vous distingue tous les deux. Comme lui, vous êtes un chercheur d’or de l’identité nationale. Vous recherchez une identité française pleine et entière comme un âge d’or qui n’a jamais existé et vous ressemblez à ceux qui poursuivent le bonheur de façon effrénée, provoquant le malheur autour d’eux et en eux-mêmes, alors que le bonheur n’arrive que de surcroît dans l’existence, sans même qu’on l’ait cherché. L’important disait le philosophe Kant n’est pas d’être heureux mais d’être digne de l’être.
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